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y a de plus grand, car elle contient tout le reste. L’ambigu et le recherché n’ont qu’un faux mystère. Un poème, simple et clair comme une fleur, est incommensurable ; mais il semble ce qu’il y a de plus compréhensible, — et ce que l’émotion de chaque homme eût voulu trouver pour s’exprimer elle-même. Horatio, qui n’a pourtant pas l’âme d’Hamlet, devine l’infini de ses troubles : qu’est-ce davantage qu’un cimetière à traverser ? Quoi de plus vulgaire que de heurter du pied, dans la terre brune, fraîchement remuée, un ossement déjà verdi ? Que dirai-je plus, d’un poème admirable, qu’il est une fleur des champs, comme la rose dans le pré ? Ou, moins et mieux encore, une herbe verte dans la prairie ? — Qui ne sait combien cet humble brin d’herbe est infini et mystérieux en son être ? — Mais sa forme est ce que l’esprit le plus simple conçoit sans aucune peine et ce qu’il connaît le mieux. Ce qui n’est pas un objet de pensée n’est rien pour l’homme, et n’est rien, non plus, pour l’Art, car l’artiste est surtout l’ouvrier intellectuel de nos émotions. J’accorde que l’Art se réduise aux sensations seules : plus que jamais, il lui faut être direct et même grossier,