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donnerait volontiers tout son sang pour le joindre ? Considérez que vous ne mesurez votre peine qu’à vos misérables joies. Pensez un peu à ce que la vie veut dire. Et mesurez donc votre peine à la Mort, — voilà le juste étalon de la vie.

Toujours, et partout, Tolstoï a regardé fixement la mort. Il l’a éprouvée dans tous les êtres, dans le prince et dans le mendiant, dans l’arbre, dans la bête. Nul homme ne connaît rien, qui ne voie chaque objet, avec lui-même, obstinément dans la mort. Les esprits valent pour la vie à proportion de la vue qu’ils ont de la mort. Pénétrez les pensées de la mort, vous qui voulez vivre. Il n’est point de chrétien qui n’accole étroitement la mort à la vie, en sorte qu’il fiance et marie de bonne heure sa vie à sa mort, à fin d’en concevoir une vie nouvelle, qui dure, celle-là, qui soit certaine, et qui puisse un peu remplir le vide affreux de nos cœurs.

Malheur à l’idéal qui est sans difficulté : il n’a rien de solide pour l’âme. Tolstoï n’accepte point tous ceux qui vont à lui. Comme tous les fondateurs de religion, il veut des preuves ; il demande la plus rare, — une longue sincérité avec soi-même.