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Il précède le peuple russe, dont l’action se déroulera, dans l’avenir, selon les époques de la sienne. On entend dire, parfois, que Tolstoï n’a pas de style. Un étranger ne s’en fait pas juge. Selon l’opinion des critiques, il n’a pas le style savant comme Gontcharow, ou raffiné comme Tourguéneff. Il se peut que Tolstoï n’ait pas de style, si l’on entend la manière d’un auteur. Mais je gage qu’il a celui où la Russie verra plus tard le type de l’expression russe. On ne saurait définir le style d’Homère : il échappe à la rhétorique ; on sent toutefois que l’Odyssée et l’Iliade enferment tout le génie de la race. Tolstoï a laissé les épopées d’une nation inquiète, curieuse d’analyse et de vérité, héroïque dans le combat moral.

La théogonie d’Homère ne répondait plus à rien, qu’Homère était toujours le père nourricier de la vie grecque. Tel est le miracle de l’art, où une action éternelle a pris sa forme. Quand nul ne se souciera si Tolstoï a traduit bien ou mal les mots de l’Évangile, sa pensée, son sentiment, sa morale, ne cesseront point de vivre dans l’âme de son peuple et d’y fructifier. Son art et sa religion se