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meurt si sereinement. Il est admirable de sagesse ; mais déjà en lui perce Épicure, si triste, selon moi, étant tout raison, et le plus résigné des hommes : mieux vaut encore une vie, qui est agonie, qu’une vie qui est la mort même. Mais vous, Jésus, pour tout ami vous avez l’éponge et le vinaigre sur la bouche, et vos lèvres sont brûlées par la dérision ; l’ironie amarifie votre soif agonisante. Il n’est point permis de vous rien comparer. Cependant, la puissante solitude suce aussi son vinaigre, et en rend sa soif plus acide. Point d’amis : car l’ami est celui qui nous comprend assez pour nous chérir, et je le trouve plus sûr que celui-là même qui nous aime assez pour nous comprendre. Nos cœurs sont de viande : ils se gâtent, ils se corrompent ; ils se déchirent aussi.

Tolstoï est donc seul, en dépit de sa gloire. Il vit retiré. Il n’a pas même conquis ceux de son sang : quelques-uns lui résistent. L’admiration l’accompagne, qui croit bon de se corroborer de blâme : car ce qu’elle admire surtout en lui, c’est qu’il lui reste incompréhensible. Les puissances de la terre honorent en lui une puissance, mais ne l’aident pas. Il avait un compagnon : il l’a perdu.