Page:Suarès - Tolstoï.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ordinaire comme lui, pour ainsi dire : c’est une épaisseur de rien, un voile mince ; il peut cacher une souffrance réelle, mais elle est vite dissipée. L’autre homme est divisé de tous par un espace immense : par toutes les forces, et toutes les décisions d’une volonté presque infinie. L’Église voit l’orgueil à la base de l’hérésie ; c’est la volonté qu’il faut mettre, le nerf même de l’esprit. Que Tolstoï me touche, adolescent et même déjà avancé en âge : Bésoukhow et Lévine semblent parfois peu volontaires ; cependant, ils n’en font qu’à leur tête ; rien ne les réduit. Ils sont de cet ordre des âmes, expressément nées à la fois pour sentir, pour comprendre, et pour vouloir : mais la volonté ne leur vient qu’ensuite. Il ne leur faut qu’une foi définie : alors, ce qu’elles ont de puissance pour agir se révèle. À peine agit-il, Tolstoï se trouve plongé dans cette solitude sans fin, comme la passion d’excellence qui l’anime. Il y a tant de vérité dans son âme, qu’on ne lui fait pas un moindre tort de la méconnaître toute, que de la décomposer en vérités particulières, et d’y choisir la sienne entre mille. Ainsi, quand il est compris sur un point, il sent encore bien plus