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dévoué et charitable. Il leur demande trop, dit-on. Non : bien moins qu’à lui. Il ne leur demande que de le croire. — Il leur fait un faux reproche, dit-on encore, de ne pas lui obéir, de ne pas se laisser convaincre : mais pourquoi lui céderaient-ils ? — Parce qu’il est le plus fort ; qu’ils le savent ; et qu’il ne peut faire lui-même de ne le savoir point.

Tolstoï parle au monde entier, selon le mot de sa compagne. Mais c’est qu’il ne peut enseigner son peuple, ses voisins, ni même sa compagne. Que je le vois isolé ! Son isolement est aussi vaste que lui. Nul homme ne peut se vanter d’avoir été compris d’un seul autre homme, durant cette si courte et si longue existence. Que sera-ce de l’homme qui en vaut une infinité d’autres ? Il n’aura pas seulement l’ennui de ne pouvoir se faire comprendre. Il aura la sombre tristesse de savoir jusqu’où il n’a pas été compris. Allons plus outre : de savoir qu’il ne pouvait pas l’être. Or, cette certitude n’ôte rien à la passion de se communiquer, car elle est proprement celle d’agir, pour les esprits, et leur vie. L’homme ordinaire n’est séparé des autres que par l’étendue d’un moi