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a toute la capacité qu’il faut pour contenir un mal presque illimité : il y pourrait être puissant ; je m’assure que souvent il lui en souvint. Mais la compassion l’en empêche ; elle le défend de cette violence sans pitié, où le mépris d’une intelligence, qui ne se peut refréner en ses jugements, nous entraîne contre les objets de son dédain. Tolstoï a fui les hommes, par accès, à toutes les époques de sa vie, quand il avait 15 ans ; quand il en avait 30 ; Lévine est une sorte de solitaire : c’est qu’il les aimait ; par crainte de les juger et de les haïr. Il n’était pas agréable à ses parents, ni à ses amis. Il n’en a eu qu’un, au temps de la première jeunesse, où l’on aime son ami à la manière d’une maîtresse ou d’un amant, sans qu’on ait, pour se quitter, la ressource des trahisons charnelles. Et Tolstoï a fait un tableau lamentable de cette amitié, où les esprits devant seuls se déprendre, il y a toujours l’un des deux qui va au-devant, et qui dupe l’autre : celui-ci prête à celui-là toutes les perfections, qui se les laisse prêter, et ne pardonne point ensuite aux yeux dessillés par lui-même, de ne les lui plus trouver.