Page:Suarès - Tolstoï.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la santé de l’esprit. Avec les années, Tolstoï semble croître en certitude ; et même il gagne en souplesse. Il n’a rien écrit de plus rigoureux que son dernier ouvrage sur l’Art ; et de tous les objets à définir, c’est le plus fuyant, et peut-être le plus difficile. Comme ces fortes épaules sur ce large dos, cet esprit est propre à porter toute sorte de charges. Telle en est l’assiette, qu’il ne penche jamais plus du côté où naturellement il incline, qu’il ne s’écarte de celui où il ne veut pas aller. Tolstoï ne se défend pas seulement de suivre son inclination : il se préserve de croire qu’on ne la suit pas assez. Quelle force dans un apôtre, qui, sûr de sa vérité, passionné pour y gagner les autres hommes, ni ne se flatte de faire sur eux une pêche miraculeuse, — ni surtout ne se plaint de ne rien prendre dans ses filets. En pareil cas, il est plus beau de ne pas se croire sans action que de se flatter d’en avoir une irrésistible.

Tolstoï ne désespère point. Il n’est pas de ces enthousiastes qui se nourrissent d’espérances. Sa vie est triste. Mais il a Dieu pour lui. Il pense que le jour du Seigneur ne peut manquer de venir. Il a cette force incalculable d’une foi qui