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possible que j’y pense ? — Depuis que je l’ai retrouvé, pour la dernière fois, couché, là, inerte et sans défense, lui si grand, si hardi et si fort, je ne l’appelle plus que mon Pauvre Petit. Je l’ai donc vu, — et c’était lui, — comme on voit ceux que l’on aime dans la mort, ils n’ont plus d’âge ; ils semblent des nouveaux-nés dans les bras d’une mère monstrueuse, qui les étouffe ; et l’on sent pour eux, pour tant de faiblesse, toute l’immense pitié que cette marâtre n’a pas. À quoi bon, pourtant ?

Ils chantent, ils vivent, eux ! Et toi… Ô mon Pauvre Petit, c’est ta première nuit sous la terre. En vérité, est-ce de lui que je parle ? Est-ce moi ? Sans doute je perds la raison. Pourtant, on pleure autour de moi. Les plus chers de nos amis sont à mes côtés : Lui n’y est pas.