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aux vœux qu'ils faisaient pour lui. Il s’entretenait avec tout le monde, comme aurait pu le faire un préfet de la ville. Il songea même à déposer le pouvoir et à rentrer dans la vie privée. Il ne voulut pas que ses enfants fussent élevés dans le palais. Son avarice et sa passion pour le lucre étaient si grandes, que, même empereur, il avait, comme auparavant, des gens affidés qui trafiquaient pour lui dans les environs de Vado. Il ne fut que médiocrement aimé. Tous ceux qui usaient d'une certaine liberté de langage le maltraitaient dans leurs discours et l’appelaient chrestologue[1], pour exprimer que, s’il parlait bien, il ne se conduisait pas de même. C'est le nom que lui donnaient surtout ses concitoyens, attirés en foule auprès de lui par sa nouvelle fortune et pour lesquels il ne fit rien. Il acceptait volontiers tous les profits qu’on lui offrait. Il laissa après lui un fils et une fille, ainsi que sa femme Flavia, dont le père, Flavius Sulpitianus, l'avait remplacé dans les fonctions de préfet de Rome. Il se soucia fort peu de la vertu de son épouse, qui aima publiquement un joueur de luth. Pour lui, il vécut, dit-on, dans un commerce criminel avec Cornificia.

XIV.

Il réprima très-sévèrement les affranchis attachés à la cour, et il s’attira ainsi une haine implacable. Voici quels signes annoncèrent sa fin. Trois jours avant d'être tué, il crut voir, étant dans le bain, un homme qui le poursuivait avec un glaive. Le jour où il périt, on ne voyait plus dans ses yeux les images que réfléchit la pupille[2]. Pendant qu'il sacrifiait aux lares du palais, des charbons ardents s'éteignirent tout à coup, sans qu'on pût les rallumer; et, comme nous l'avons déjà dit, l'on ne trouva ni cœur ni foie dans les victimes. Quelques jours auparavant, on avait vu très-distinctement, en plein midi, des étoiles près du soleil. Lui-même donna, dit-on, le présage que Julien lui succéderait, et voici de quelle manière : Didius Julien lui ayant présenté son neveu, qu'il venait de fiancer à sa fille, Pertinax, en exhortant ce jeune homme à honorer son oncle, lui dit : « Respectez mon collègue et mon successeur. » En effet, Julien avait été consul avec lui et son successeur dans le proconsulat. Les soldats et les courtisans détestaient Pertinax ; mais le peuple ne put se consoler de sa mort, parce qu'il espérait de lui le rétablissement de l'ancienne forme de gouvernement. Les soldats qui l’avaient tué mirent sa tête au haut d'une pique, et la portèrent ainsi jusqu'à leur camp, à travers la ville. On rejoignit ensuite cette tête au reste du corps, qui fut enseveli dans le tombeau de l'aïeul de la femme de Pertinax. Julien, son successeur, qui avait trouvé son corps dans le palais, lui rendit les derniers honneurs, autant que les circonstances le permirent. Mais il ne parla jamais de lui, ni devant le peuple ni devant le sénat. Quand Julien lui-même eut été déposé par les soldats, les sénateurs et le peuple mirent Pertinax au rang des dieux.

XV.

On lui fit, sous l'empereur Sévère, d'après le témoignage éclatant que le sénat rendit à ses vertus, des obsèques magnifiques, où son image fut promenée solennellement. Sévère prononça son éloge funèbre, et le respect qu'il montra, dans cette occasion, pour la mémoire de ce prince lui

  1. Χριστὸς, généreux ; λόγος parole : généreux en paroles.
  2. On Lit dans Pline XVIII, 5 qu'il n'y à point à craindre la mort pour un malade, tant qu'on peut se voir dans ses yeux.