Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/383

Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’il ne lui eût fait grâce, s’il l’avait eu en son pouvoir.

VIII.

Sa tête fut portée à Marc-Aurèle, qui, loin d’en montrer de la joie ou de l’orgueil, s’affligea d’avoir perdu ainsi une occasion d’exercer sa clémence. Il aurait voulu, disait-il, qu’on le lui eût amené vivant, pour lui reprocher ses bienfaits et lui pardonner. Enfin l’un des amis de Marc-Aurèle blâmant son indulgence envers Cassius, envers ses enfants, ses parents et tous ses complices, et ayant ajouté : « Cassius vainqueur en eût-il usé de même à votre égard ? » il répliqua, dit-on : « Notre conduite et le respect que nous professons pour les dieux nous assuraient la victoire. » Il énuméra ensuite tous les empereurs qu’on avait mis à mort, et il prouva qu’ils avaient, pour un motif ou pour un autre, mérité cette destinée ; que l’on trouverait difficilement dans l’histoire un bon prince vaincu ou tué par un tyran ; que Caligula et Néron s’étaient attiré leur sort en se montrant cruels, Othon et Vitellius en se conduisant comme s’ils dédaignaient l’empire. Il avait la même opinion à l’égard de Pertinax et de Galba, et il disait « que l’avarice est dans un prince le plus grand des maux. » Il ajouta enfin que ni Auguste, ni Trajan, ni Adrien, ni son père Antonin le Pieux, n’avaient pu être vaincus par des rebelles, dont plusieurs même avaient été tués à l’insu et contre le gré de ces princes. Il pria le sénat de ne pas prononcer des peines sévères contre les complices de Cassius, et il demanda en même temps à cette assemblée de statuer qu’aucun sénateur ne serait mis à mort sous son règne ; ce qui acheva de lui gagner tous les cœurs. On punit un très petit nombre de centurions, et il fit rappeler ceux qu’on avait déportés.

IX.

Il pardonna aussi aux habitants d’Antioche, qui s’étaient déclarés pour Cassius, et même aux villes qui lui avaient prêté secours. Il est vrai qu’il témoigna d’abord un vif mécontentement aux premiers, et qu’il leur interdit les spectacles, et beaucoup d’autres plaisirs particuliers à leur ville ; mais, dans la suite, il les leur rendit tous. Il laissa aux fils de Cassius la moitié des biens de leur père, et il donna de l’or, de l’argent et des bijoux à ses filles. Il accorda même à Alexandria, l’une d’elles, et à son gendre Druentianus, la liberté d’aller où il leur plairait ; de sorte qu’ils vécurent dans la plus grande sécurité, non comme les otages d’un tyran, mais comme des membres de l’ordre du sénat. Il alla jusqu’à défendre qu’on leur reprochât en justice le malheur de leur famille ; et, condamnant les injures que leur avaient adressées quelques personnes emportées par un excès de zèle, il les recommanda lui-même au mari de sa tante.

Ceux qui désirent connaître toute cette histoire n’ont qu’à lire le second livre de la vie de Marc-Aurèle par Marius Maximus, qui y rend compte des actions de cet empereur depuis la mort de Vérus. C’est, en effet, après cet événement qu’eut lieu la révolte de Cassius, comme le prouve cet extrait d’une lettre de Marc-Aurèle à Faustine : « Vérus m’avait écrit la vérité, en me disant que Cassius aspirait au trône. Vous savez déjà, sans doute, les nouvelles qu’en ont apportées les gardes de Martius Vérus. Venez donc à Albanum, afin que nous délibérions, avec l’aide des dieux et sans crainte, sur le parti qu’il faut prendre. » Il paraît par là que Faustine ignorait ce qui se passait, tandis que Marius Maximus, qui ne cherche qu’à la diffamer, la suppose complice du crime de Cassius.