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Mais comme cette guerre avait épuisé tout son trésor, et qu’il ne pouvait se résoudre à frapper les provinces d’un impôt extraordinaire, il fit vendre aux enchères, dans le forum de Trajan, les ornements impériaux, les coupes d’or et de cristal, les coupes murrhines, les vases royaux, les vêtements de femme, tissés d’or et de soie, enfin toutes les pierres précieuses qu’il avait trouvées dans le trésor privé d’Adrien. Cette vente dura deux mois, et produisit assez pour le mettre en état d’achever, comme il l’avait résolu, la guerre contre les Marcomans. Il donna plus tard aux acheteurs la faculté de lui rendre ces objets pour le prix qu’ils les avaient payés, et il ne témoigna aucun mécontentement ni à ceux qui les rendirent ni à ceux qui les gardèrent.

Il permit aux citoyens les plus distingués de déployer dans leurs festins le même appareil que lui, et d’y avoir des serviteurs semblables aux siens. Plein de magnificence dans ses spectacles, il fit voir, un jour, au peuple, dans une seule chasse, cent lions qui tombèrent percés de flèches.

XVIII.

Après un règne de dix-huit ans, pendant lequel il fut si aimé, si chéri de tous les citoyens, que les uns l’appelaient leur père, les autres leur frère, d’autres leur fils, suivant leur âge, il mourut dans sa soixante et unième année. Tel était cet amour, que, le jour de ses funérailles, personne ne crut devoir le pleurer, tant l’on était persuadé que, prêté par les dieux à la terre, il était retourné vers eux. Plusieurs écrivains disent qu’avant la fin de la cérémonie, le peuple et le sénat le nommèrent ensemble et tout d’une voix le dieu propice ; ce qui lie s’était jamais fait jusque-là, ce qui ne se fit jamais depuis. Mais cet homme si vertueux, si grand, ce prince que sa vie rendit pareil aux dieux, que sa mort fit leur égal, laissa pour fils Commode ; heureux, s’il ne lui eût pas donné le jour ! C’était peu que tout le monde, sans distinction d’âge, de sexe et de condition, lui eût déféré les honneurs divins ; on traitait encore de sacrilège quiconque, ayant dû ou pu l’acquérir, n’avait pas chez soi l’effigie de ce prince. Aujourd’hui même on trouve dans beaucoup de maisons des statues de M. Aurèle, à coté de celles des dieux pénates ; et quelques personnes ont assuré qu’il leur avait prédit en songe des choses qui sont arrivées. On lui bâtit un temple ; on lui donna des pontifes appelés Antoniniens, une communauté de prêtres, des flamines ; enfin tout ce que l’antiquité assigne à ceux que l’on consacre.

XIX.

Quelques auteurs prétendent (ce qui est assez vraisemblable) que Commode Antonin, son successeur et son fils, n’était pas né de lui, mais d’un adultère, et voici l’histoire telle qu’on la raconte communément. Faustine, fille d’Antonin le Pieux et femme de Marc-Aurèle, ayant vu, un jour, passer des gladiateurs devant elle, conçut pour l’un d’eux le plus violent amour ; et cette passion l’ayant rendue longtemps malade, elle en fit l’aveu à son époux. Des Chaldéens, que Marc-Aurèle consulta, dirent qu’il fallait, après avoir tué ce gladiateur, que Faustine se baignât dans son sang, et couchât ensuite avec son mari. Ce conseil ayant été suivi, l’amour de l’impératrice s’éteignit en effet ; mais elle mit au monde Commode, qui fut plutôt un gladiateur qu’un