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dier, non pas le peu de pain qu’il faut à sa vie, ni le peu de vin dont a besoin son rêve, mais l’amour, l’aumône de l’amour, l’amour auquel a droit le plus misérable des hommes, comme à l’air de la terre et à la lumière du ciel.

J’ai frappé à bien des portes, et je mentirais si je disais qu’une femme ne m’a pas donné sans compter l’amour que je quémandais. Mais je suis avili comme les mendiants, et je suis allé chercher l’aumône ailleurs. Et voici que tu m’as accueilli sur ton seuil, et que tu m’as donné les baisers de ta bouche et les secrets de ton cœur.

Mais j’ai peur. Pour avoir demandé et accepté ce double amour, j’ai peut-être créé une double haine. Et lorsque je retourne, au plus noir de la nuit, vers le carrefour obscur où mon âme habite, après avoir quitté l’une ou l’autre bien-aimée, je veux que deux femmes de la terre se haïssent, et que leurs âmes cherchent à se tuer dans les ténèbres. Car les dieux ont voulu que la haine s’accouplât à l’amour, comme la douleur à la joie et l’ombre à la lumière. Et je pleure, mendiant ingrat.

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Je veux que toute ma souffrance fleurisse en bonheur pour toi. La rose naît du fumier et la mort féconde la vie. Tout a son contraire dans le