Page:Stuart Merrill - Prose et vers (1925).pdf/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette curiosité mal réglée est l’indice d’une heureuse abondance. Les défauts de Charles-Louis Philippe me sont aussi chers que ses qualités, car ils me précisent la nature de l’homme. C’était un badaud passionné. Tandis que les poètes suivent d’instinct les sentiers solitaires où ils espèrent cueillir la fleur bleue du rêve, leurs frères les romanciers préfèrent, par les grands chemins, se mêler à la foule dont la senteur est âcre, dont le verbe est haut, dont le geste est rude. De ceux-ci fut Charles-Louis Philippe. Il aima le peuple avant l’art, il obéit à la pitié plutôt qu’à l’inspiration, il détesta les riches parce qu’il adorait les pauvres. Un jour que je lui reprochais son penchant vers une sorte de tolstoïsme imprécis et vain, il s’emporta et se mit à déblatérer contre les riches, non pas à cause de leurs péchés d’omission ou de commission, mais simplement parce qu’ils étaient riches. Être riche, pour lui comme pour Jésus, c’était renoncer à l’état de grâce où ne peuvent vivre que les pauvres. Sa haine de la richesse était toute mystique ; il ne s’y mêlait aucune cupidité. Personne ne fut plus indifférent que Philippe à ce que la fortune peut conférer d’exquis, de rare et de délicat à la vie. Quand par hasard il s’aventurait dans le monde, il s’en retournait avec un vrai remords vers ses frères les pauvres qui