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LE RÊVE DE LA REINE

La Reine aux cheveux d’ambre, à la bouche sanglante,
tient, de sa dextre longue, ouvert le vitrail d’or,
pensant que l’heure coule ainsi qu’une eau trop lente.
En ses yeux le reflet d’une tristesse dort,
et sur sa robe où sont des fleurs bizarres d’or,
elle laisse dormir son autre main si froide
que dans un sombre jour de chapelle qui dort
de moins rigides mains portent la palme roide !
Soudain, quelle moiteur à sa peau fine et froide !
À son front lisse perle une soudaine langueur,
et son corsage en dur brocart semble moins roide ;
est-ce toi, si longtemps immobile, son cœur
qui pourras la venir chasser, cette langueur,
et faire étinceler enfin la somnolence
de ses yeux, si longtemps glacés comme son cœur,
qui la feras tomber, l’armure du silence !
Ô crépuscule, dans ta grande somnolence,
un bois à l’horizon s’étage noir et bleu ;
haut, le croissant émerge et s’argente en silence.
L’Hippogriffe attendait dans le couchant de feu ;
et la Reine, égarant son regard noir et bleu,
Maudit l’heure qui coule ainsi qu’une eau trop lente,
et sous le dur brocart sentant sa gorge en feu,
mord son exsangue main de sa bouche sanglante !

On discerne déjà, dans ces vers lointains, le décor catholique et légendaire qui attira toujours Louis Le Cardonnel. Mais on aurait tort de voir en ce poète admirable un simple dilettante de la religion. Je le connus toujours, même en pleine tourmente, grave, réfléchi et apostolique. Il m’adressait de longues exhortations que j’écoutais