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déformateur sans le moindre souci de s’accorder à une esthétique quelconque. Ce qu’on rapporte de son enseignement de Pont-Aven me semble puéril et presque trivial. Il ne faut pas en conclure qu’il manquât d’intelligence. Au contraire, ses lettres et ses notes de voyage témoignent de rares dons d’observation, d’analyse et de raisonnement. Mais il n’était pas de terme commun entre son art et celui de nos peintres, même les plus révolutionnaires. Paul Gauguin reste, dans le sens le pire et le meilleur du terme, un monstre. Même Van Gogh, ce fou de génie, peut se classer dans des catégories connues : il a des ancêtres et aura sans doute une postérité. Il est, en d’autres mots, de notre race. Gauguin, parmi nous, était véritablement solitaire. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’il ait quitté notre civilisation pour se développer sans entraves parmi des peuplades primitives. Il était homme à pourchasser sa proie dans les forêts ou les eaux profondes, à dégrossir de sa hache les arbres centenaires, à se construire un logis et à le décorer de sculptures grossières et de naïves images. Il se sentait mal à l’aise dans notre société. Je n’en veux pour preuve qu’une conversation que j’eus avec lui, en fiacre, une nuit que nous allions chez Mallarmé. Je lui demandai pourquoi il se prétendait peintre symboliste. « Je ne discerne, lui avouai-je, aucun symbolisme dans