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leur coreligionnaire gnostique Cérinthe[1], que celle où ils soutenaient que le Saint-Esprit, ou le Christ céleste, ne s’est uni à Jésus homme que lors du baptême. On lisait dans l’Évangile des Ébionites que l’Esprit, πνεῦμα, n’était pas seulement descendu sur Jésus sous forme de colombe, mais qu’il avait pénétré en lui[2] ; et, d’après Justin, l’attente commune parmi les Juifs était que ce serait au moment de l’onction par le précurseur Élie que des forces supérieures seraient communiquées au Messie[3].

Il semble que le développement de ces idées a été le suivant : lorsque, parmi les Juifs, on commença à reconnaître la dignité messianique de Jésus, ce qui parut le plus convenable, ce fut de croire qu’il avait été muni des dons nécessaires à partir du moment où il avait pris une certaine célébrité : or ce moment était celui de la cérémonie du baptême ; il était donc le plus approprié à une pareille onction avec l’Esprit-Saint, telle que les Juifs l’attendaient pour le Messie ; ce fut là le point de départ de notre légende sur le baptême. Mais à mesure que s’accrut le respect pour le Christ, et à mesure que la communauté chrétienne reçut des hommes familiers avec des idées du Messie plus élevées, cette messianité, produite tardivement, ne fut plus suffisante ; le rapport de Jésus avec l’Esprit-Saint, πνεῦμα ἅγιον, fut, pour ainsi dire, antidaté, et reporté au moment de la conception ; et de ce point de vue se forma la légende sur la conception surnaturelle de Jésus. Peut-être est-ce ici aussi que les paroles de la voix céleste, qui originairement peuvent avoir reproduit le passage du psaume 2, 7, furent changées pour reproduire le passage d’Isaïe, 42, 1 ; car les mots : Je t’ai engendré aujourd’hui, σήμερον γεγέννηκά σε, avaient, il est vrai, un sens convenable, quand on ad-

  1. Epiphan. Hæres., 28, 1.
  2. Epiphan. Hæres., 30, 13 ; Une colombe étant descendue et entrée en lui, περιστερᾶς κατελθούσης, καὶ εἰσελθούσης εἰς αὐτόν.
  3. Voy. plus haut le passage, p. 414, Remarque 2.