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lement la première communauté chrétienne partageait, mais encore qu’elle essayait de satisfaire par égard pour les Juifs. Or, le passage cité d’Isaïe renfermait une déclaration divine qui désignait, comme avec le doigt, le Messie présent, et qui, en conséquence, était particulièrement propre à être conçue comme une proclamation céleste de sa messianité. Comment la légende chrétienne aurait-elle pu tarder à composer une scène où ces paroles étaient prononcées du haut du ciel sur la tête du Messie ? Nous découvrons encore un autre motif qu’eut la tradition pour arranger ainsi la chose ; ce motif est dans la seconde personne dont se sert, dans Luc et dans Marc, la voix céleste pour parler à Jésus : Tu es mon fils, Σὺ εἶ ὁ υἱός μου. Cela posé, comparons les paroles que prononça la voix céleste, suivant quelques uns des anciens évangiles perdus, dans des fragments qui nous ont été conservés par les Pères de l’Église. Justin, d’après ses Mémoires des Apôtres, Ἀπομνημονεύματα τῶν ἀποστόλων, les rapporte ainsi : Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui, Υἱός μου εἶ σύ· ἐγὼ σήμερον γεγέννηκά σε[1] ; d’après Épiphane, l’Évangile des Hébreux portait cette phrase à côté de celle que nos évangiles présentent[2] ; et Clément d’Alexandrie[3] et Augustin[4] paraissent avoir lu ces paroles dans des exemplaires de nos évangiles ; toujours est-il qu’encore aujourd’hui quelques manuscrits de l’évangile de Luc ont cette addition[5]. Ainsi il y avait, dans la voix céleste, des paroles prises, non au passage cité d’Isaïe, mais au psaume 2, 7. Or, ce dernier passage a été interprété comme relatif au Messie par les commentateurs juifs[6], et, dans la lettre aux Hébreux, 1, 5, il est appliqué au Christ ; la forme du discours direct


    personuit echo cœlestis : Quid vobis cum R. Eliesere ? nam ubivis secundum illum obtinet traditio.

  1. Dial. c. Tryph., 88.
  2. Hæres., 30, 13.
  3. Pædagog., 1, 6.
  4. De consens. Evangg., 2, 14.
  5. Voyez Wetstein sur le passage de Luc, et De Wette, Einl. in das N. T., S. 100.
  6. Voyez Rosenmuller, Schol. in Psalm., psalm. 2.