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fois qu’on fut décidé, comme cela arriva dans la première communauté chrétienne (Act. Ap. 19, 4), à considérer le rôle de Jean-Baptiste, non plus comme un rôle indépendant, mais comme une préparation au Christ, l’imagination ne s’arrêta pas longtemps à la seule action du précurseur, mais elle se hâta d’arriver à l’apparition de celui à qui il devait ouvrir les voies. L’intérêt que la tradition chrétienne primitive devait avoir, même sans motif historique, à supprimer tout intervalle entre le baptême de Jésus et le commencement de son ministère public, est encore plus manifeste ; car admettre que, par son baptême, Jésus s’était attaché à Jean et avait, pendant quelque temps, vécu avec lui dans le rapport de disciple à maître, c’était aller contre l’intérêt religieux de la nouvelle communauté, intérêt qui exigeait un fondateur instruit, non par les hommes, mais par Dieu lui-même. Ainsi, quand bien même Jésus aurait été véritablement le disciple de Jean, néanmoins on aurait de bonne heure arrangé les choses comme si le baptême de Jésus par Jean avait signalé, non l’accession du premier à la société qui se formait autour du second, mais sa consécration à un ministère indépendant.

Nous ne sommes forcés de choisir une de ces issues qu’autant qu’il est vrai que l’importance considérable acquise par Jean-Baptiste parmi ses contemporains et dans la postérité est inexplicable si l’on borne la durée de son ministère public à six mois. Mais cette impossibilité ne peut se prouver : l’esprit, dans ses effets, n’est pas toujours limité par la mesure du temps ; et, particulièrement, là où le développement entier d’un peuple et de sa situation a accumulé une masse de matières inflammables, une étincelle qui tombe peut rapidement allumer un vaste incendie[1]. Il reste donc toujours possible que Jean ait opéré, même dans le terme le plus court, ce qu’il a opéré véritablement ; mais, d’un autre

  1. Comparez Hoffmann, S. 284 ; Neander, S. 83. Anm.