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peut la décider par deux critériums, dont l’un appartient plus à la lettre, et l’autre à l’esprit et au caractère des deux évangélistes. Ces critériums ont mené à une solution opposée. Saint Augustin, et, avant lui, Julius Africanus, ont recherché lequel des deux évangélistes, pour désigner le rapport entre Joseph et celui qu’il nomme le père de Joseph, se sert d’une expression qui indique, d’une manière plus précise que l’autre, une filiation naturelle. Or, Matthieu emploie une telle expression. En effet, lorsqu’il dit : Jacob engendra Joseph, Ἰακὼϐ ἐγέννησε τὸν Ἰωσήφ, le mot engendrer, γεννᾷν, ne paraît pouvoir désigner que le rapport d’une filiation naturelle. Au lieu que les paroles de Luc : Joseph, fils d’Éli, Ἰωσὴφ τοῦ Ἠλί, semblent pouvoir signifier aussi bien un fils adoptif qu’un fils considéré comme tel en vertu du mariage contracté, selon la loi juive, entre une veuve et le frère de son mari. Mais, comme cette loi avait justement pour objet de conserver le nom et la race d’un homme mort, la coutume juive était d’enregistrer le premier fils né d’une pareille union, non dans la famille du père naturel, comme le fait ici Matthieu, mais dans celle du père légal, comme Luc l’aurait fait d’après la supposition précédente. Or, l’auteur du premier évangile, ou du moins de la généalogie, lui qui est si imprégné des idées juives, aurait-il commis une pareille erreur ? c’est ce qu’on ne trouvera guère vraisemblable. Aussi Schleiermacher, prenant en considération l’esprit des deux évangélistes, croit-il devoir admettre que Matthieu, malgré son expression engendra, ἐγέννησε, donne cependant, d’après l’usage juif, l’arbre généalogique du père légal ; tandis que Luc, peut-être étranger à la Judée et moins versé dans la connaissance des coutumes juives, a pris l’arbre généalogique des plus jeunes frères de Joseph, lesquels furent inscrits, non comme le premier-né sur la liste du père défunt légal, mais sur la liste du père naturel, liste que Luc a cru être la généalogie