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les faits, par exemple Tite-Live. Numa, dit-il, imposa aux Romains une multitude de prescriptions religieuses, afin que le loisir ne laissât pas aux esprits une dangereuse licence, ne luxuriarentur otio animi, et parce qu’il regardait la religion comme le meilleur moyen de tenir en bride une multitude ignorante et grossière dans ces siècles, multitudinem imperitam et illis sæculis rudem. Ce roi, ajouta-t-il, institua des jours fastes et néfastes, parce qu’il devait quelquefois être utile de ne rien faire avec le peuple, idem nefastos dies fastosque fecit, quia aliquando nihil cum populo agi utile futurum erat[1]. D’où Tite-Live savait-il que tels avaient été les motifs de Numa ? Ils n’avaient pas été tels certainement, mais Tite-Live le croyait ; c’est une combinaison de son intelligence et de sa réflexion qui lui parut tellement nécessaire, qu’il la présenta comme une réalité avec pleine conviction. La légende populaire ou un ancien poëte s’était autrement expliqué les conceptions de Numa en fait d’institutions religieuses ; il lui avait supposé des entrevues avec la nymphe Égérie, qui avait révélé à son protégé quel était le culte le plus agréable aux dieux. On le voit, le rapport est à peu près le même des deux côtés : si la légende a un auteur particulier, celui-ci a cru ne pouvoir expliquer ce que donnait l’histoire que par la communication avec un être surnaturel, comme Tite-Live ne croyait pouvoir l’expliquer que par la supposition de vues politiques. Le premier regardait le produit de son imagination, le second le produit de son intelligence, comme une réalité[2].

On accordera peut-être la possibilité d’une fiction involontaire[3], même quand un individu en est signalé comme l’auteur, dans les cas où le mythique se borne à quelques

  1. 1, 19.
  2. George, p. 26, montre de la même façon que tout érudit, essayant de représenter un passé qui n’est plus connu dans son intégrité, fait insciemment des mythes.
  3. Le plaisir de s’en prendre à l’expression : fiction involontaire, comme