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Chez les peuples les plus sauvages et les plus misérables seulement, par exemple chez les Esquimaux et autres semblables, nous trouvons que les hommes ne se sont pas élevés jusqu’à concevoir, en dehors d’eux-mêmes, l’objet de leur religion, mais qu’elle reste renfermée et confondue avec le propre sentiment de leur existence. Ils ne savent rien encore de dieux, d’êtres célestes, de puissances supérieures, et toute leur religion consiste dans l’obscure sensation qu’ils éprouvent en présence de l’ouragan, de l’éclipse de soleil, ou du sorcier. Ensuite la réalité absolue de la religion se dégage de plus en plus de la confusion qui l’obscurcissait, et, cessant d’être subjective, elle devient objective. Alors, des puissances supérieures qui règlent l’existence sont contemplées et adorées dans les objets qui frappent les sens, dans le soleil, dans la lune, dans des montagnes, dans des animaux. Mais, plus la signification que l’on attribue à ces objets est différente de leur état réel, plus l’imagination crée un nouveau monde qu’elle peuple d’êtres divins ; et les rapports de ces êtres entre eux, leurs actes et leurs opérations, ne pouvant être imaginés que comme on s’imagine les actions humaines, ne peuvent, non plus, que se présenter avec le caractère de l’histoire et du temps. Lors même que la conscience humaine s’est élevée jusqu’à concevoir l’unité de Dieu, cependant l’existence et l’activité de Dieu ne sont considérées que comme une succession d’actes divins ; d’un autre côté, les événements naturels et les actions humaines ne peuvent prendre, dans cette conscience, une signification divine qu’autant qu’elle y croit voir des actes divins et des miracles. C’est à la philosophie qu’il appartient de concilier le monde de la représentation religieuse avec le monde véritable, en montrant que la pensée de Dieu est l’existence de Dieu, et que la révélation spontanée de l’idée divine se reconnaît dans le cours régulier de la vie qui anime la nature et l’histoire.