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croissance. Si l’on entend, au contraire, dans un sens plus large, des témoins oculaires qui, sans avoir constamment accompagné Jésus, ne l’aient vu qu’une fois ou deux, ils ont dû être fort disposés à remplir, par des imaginations mythiques, les lacunes de ce qu’ils savaient sur le cours de sa vie[1].

On objecte surtout que la formation d’une pareille masse de mythes est incompréhensible dans un âge déjà historique tel que l’époque des premiers empereurs romains. Mais l’idée d’un âge historique est une idée très étendue, et il ne faut pas non plus qu’elle nous fasse illusion. Pour tous les lieux situés sous un même méridien, le soleil, dans la même saison, n’est pas visible au même moment ; ceux qui habitent sur le sommet des montagnes ou sur des plaines élevées l’aperçoivent plus tôt que ceux qui résident dans des gorges et dans des vallées profondes ; de même le temps historique ne se lève pas pour toutes les nations à la même époque. Le peuple, en Galilée et en Judée, n’a pas dû, par cela seul que la Grèce, avec sa culture développée, et Rome, capitale du monde, avaient atteint dès lors un certain degré, avoir atteint de son côté le même degré. Loin de là, il régnait, même dans les centres de la civilisation à cette époque, il régnait, pour me servir d’une phrase rebattue dans les résumés historiques et qu’on semble maintenant vouloir oublier tout à coup, la superstition à côté de l’incrédulité, l’illuminisme à côté du doute.

Mais, dit-on, le peuple juif avait depuis longtemps l’habitude d’écrire. Sans doute, et même la période brillante de sa littérature était déjà passée ; ce n’était plus une nation croissante, et par conséquent productive, c’était une nation sur son déclin. Mais, durant même tout le cours de son existence politique, le peuple hébreu n’a jamais eu, à vrai dire, un sentiment net de l’histoire ; ses livres historiques

  1. Comparez George, Ueber Mythus und Sage, S. 125.