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comme ceux-ci qu'on pouvait prendre pour la vérité même[1]; »

Car, notez que le poète a dit souvent, et non pas toujours, ce qui eût ôté aux mensonges du héros cet air de vérité. Homère a donc tiré de l'histoire le fond même de ses poèmes. L'histoire en effet nous montre un prince du nom d'Éole régnant sur ce groupe d'îles dont Lipara est le centre ; elle signale aussi aux environs de l'Etna et de Leontium certains peuples inhospitaliers du nom de Cyclopes et de Laestrygons, et explique même par cette circonstance comment le détroit était alors inaccessible à la navigation ; elle ajoute que Charybde et Scylla étaient deux repaires de pirates. Ainsi des autres peuples mentionnés par Homère : nous les retrouvons tous dans l'histoire établis en telle ou telle contrée de la terre. Il savait, par exemple, que les Cimmériens habitaient aux environs du Bosphore cimmérique une région boréale et brumeuse, c'en fut assez pour que, par une licence heureuse et pour les besoins de la fable qu'il voulait mêler aux Erreurs d'Ulysse, il transportât ce peuple dans une contrée ténébreuse, au seuil même de l'enfer. Nul doute, du reste, qu'il ne connût les Cimmériens, puisque, d'après les calculs des chronographes, l'invasion cimmérienne a précédé de peu l'époque où il vivait, si même elle ne lui est contemporaine.

10. Il connaissait pareillement et la situation de la Colchide et le fait de la navigation de Jason à Aea, et, en général, tout ce que la fable et l'histoire rapportent des enchantements de Circé et de Médée et de leurs autres traits de ressemblance : à l'aide maintenant de ces données, et sans tenir compte de l'énorme distance qui séparait les deux enchanteresses, puisque l'une habitait au fond du Pont, et l'autre en Italie, il imagina entre elles un lien d'étroite parenté, et osa les transporter toutes deux hors des mers intérieures, en plein Océan. Peut-être bien aussi Jason, dans ses Erreurs, s'était-il écarté jusqu'en Italie ; car on

  1. Hom., Odyssée, XIX, 203.