Page:Strabon - Géographie, trad., Tardieu, tome I, livres I à VI, 1867.djvu/42

Cette page n’a pas encore été corrigée

de même les contrées lointaines. Il a apporté aussi un soin particulier, plus de soin même qu'aucun des poètes, ses successeurs, dans l'emploi de la fable, ne visant pas en tout et toujours au prodigieux, mais sachant mêler, sous forme d'allégories, de fictions ou d'apologues, des leçons utiles à ses récits, notamment à celui des Erreurs d'Ulysse: sur ce point-là encore Ératosthène s'est donc grossièrement trompé, puisqu'il n'a pas craint de qualifier de « sornettes » les commentaires sur l'Odyssée, et l'Odyssée elle-même. Mais la question vaut la peine d'être traitée plus au long.

8. Et d'abord notons que les poètes n'ont pas été seuls à admettre les fables : longtemps, bien longtemps même avant les poètes, les chefs d'État et les législateurs en avaient fait usage, en raison de l'utilité qu'elles présentent, et pour répondre à une disposition naturelle de l'être ou « animal pensant. » Car l'homme est avide de savoir, et son amour des fables est comme un premier indice de ce penchant. De là vient aussi, qu'en général, les fables sont les premières leçons qu'entendent les enfants et ce qu'on leur propose comme premiers sujets d'entretien. Et la cause de ce choix c'est que la fable, qui ne représente pas ce qui existe, mais autre chose que ce qui existe, leur révèle en quelque sorte un monde nouveau. Or, on aime toujours le nouveau, l'inconnu ; c'est même là ce qui rend avide de savoir, et, quand à la nouveauté s'ajoutent l'étonnant et le merveilleux, le plaisir est doublé, le plaisir, qui est comme le philtre de la science. Pour commencer, il y a donc nécessité d'user de semblables appâts mais, avec le progrès de l'âge, quand le jugement s'est fortifié, et que l'esprit n'a plus besoin d'être flatté, c'est à la connaissance du monde réel qu'il faut l'acheminer. Ajoutons que tout ignorant, tout homme sans instruction n'est lui-même, à proprement parler, qu'un enfant, aimant les fables comme un enfant les aime; l'homme même qui n'a reçu qu'une instruction médiocre en est là aussi jusqu'à un certain point : car chez lui, non plus, la raison n'a pas acquis toute sa force, sans compter qu'elle subit encore l'influence d'une habitude d'enfance. Mais,