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l’homme en moi qu’elle veut faire valoir. Mais si l’État est une société d’hommes et non une réunion de moi dont chacun n’a que soi en vue, il ne peut subsister sans morale et doit être établi sur la morale.

C’est pourquoi nous sommes, l’État et moi, ennemis. Moi, l’égoïste, je ne m’inquiète guère du bien de « cette société humaine » ; je ne lui sacrifie rien, je l’utilise seulement ; mais pour pouvoir l’utiliser complètement, je la transforme aussitôt en ma propriété, en ma créature, c’est-à-dire que je l’annihile et crée à sa place une association d’égoïstes.

Ainsi l’État trahit son hostilité envers moi en exigeant que je sois homme, ce qui suppose que je puis aussi ne pas l’être et passer à ses yeux pour un « non-homme » ; il m’impose l’état d’homme comme un devoir. Ensuite il exige que je ne fasse rien qui porte atteinte à son existence qui doit être sacrée pour moi. Je ne dois pas être égoïste mais un homme « honnête et droit », c’est-à-dire un homme moral. Bref, il faut que je sois impuissant et respectueux devant l’État et la constitution, etc.

Cet État qui certes n’est pas l’État présent, mais attend encore sa création, est l’idéal du libéralisme progressif. Une véritable « société humaine » doit apparaître dans laquelle tout « homme » trouvera place. Le libéralisme veut réaliser « l’homme », c’est-à-dire créer pour lui un monde qui serait le monde humain ou la société humaine générale (communistique). On a dit : « l’Église n’a pu prendre en considération que l’esprit, l’État doit avoir égard à l’homme tout entier »[1]. Mais « l’homme » n’est-il pas « esprit » ? La substance de l’État est précisément « l’homme », cette irréalité et

  1. Hess, Triarchie, p. 76.