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d’un refus ou d’une non-reconnaissance, à moins que l’on proclame le Droit une entité supérieure et antérieure à l’individu qui retombe alors au pouvoir de l’idée. Il ne connaît pas des libertés. Le mot liberté suppose, en effet, une discussion antérieure ; or, il n’y a pas plus lieu de mettre en discussion les fonctions de l’être moral et intellectuel que celles du corps humain. Votre « liberté de penser » équivaut à une « liberté de digestion ».

J’ai des propriétés qui sont à moi du fait que j’existe ; je ne veux pas des libertés qui ne sont que des facultés qui supposent un distributeur et qui ont par avance un contenu déterminé.

Dans l’État moderne, par exemple, pour être libre il faut être citoyen. Sois citoyen, c’est-à-dire assujettis-toi à toutes les contraintes imposées par la qualité du citoyen et tu es libre en dehors de ces contraintes. Tu es libre aujourd’hui à titre de citoyen comme, sous Louis XIV, un « sujet loyal » était libre, comme, sous Philippe II, le catholique était libre, tant qu’il n’était pas hérétique. La liberté a pour frontière l’hérésie. Celui qui n’a pas du civisme la même notion que l’État est un hérétique d’ordre civil et trouve bientôt les limites de sa liberté. Tu as la liberté de penser parce qu’on ne peut t’empêcher de penser, mais pense en silence si tu es hérétique. Car, s’il te plaît de penser tout haut, ta pensée sera libre jusqu’à ce qu’elle s’adresse aux « choses sacrées ». Que ta critique porte sur un Droit, une Loi, un État déterminé, elle sera accueillie avec reconnaissance si en indiquant tel point faible, tel vice, elle confirme l’idée de Droit, de Loi, d’État, etc., mais qu’elle s’attaque au principe même, voilà qui est insupportable.

D’ailleurs, l’État moderne sait avec un rare bonheur jouer de la liberté contre la liberté. Voyez ce qui se passe pour la « liberté du travail ». L’État a trouvé le moyen de s’opposer à ceux qui proclament le droit au refus de travail. Hypocritement il déclare que si votre liberté de refus ne peut être violée, vous ne devez porter atteinte à la liberté d’accepter des autres — alors que cette liberté se ramène à une contrainte imposée par une misère trop