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une proie dont chacun aurait sa part. Il n’apparaît pas cependant que l’héroïsme des armées napoléoniennes fut de moins bon aloi que l’héroïsme d’autres armées qui ne furent apparemment guidées que par l’idée pure.

La faiblesse de la Révolution fut de ne pas se borner à déclarer libres ceux seuls qui possédaient quelque chose ou auxquels elle pouvait attribuer quelque chose. Le quatrième État surgit. À ceux-là, aux dénués, on reconnut tous les droits, sauf un. « Avez-vous inscrit parmi vos Droits de l’Homme que l’homme ne doit pas mourir de faim quand il y a du pain moissonné pour lui ? » dit Carlyle. Ce droit de vivre fut oublié dans la série. Pour eux, la réforme agraire fut lettre close. Et ceux qui la réclamèrent furent inculpés de haute trahison (répression du Babouvisme).

Ainsi les temps modernes ont créé la classe nouvelle des esclaves-citoyens ou esclaves-libres, qui comprend tous les non-possédants. Leur servitude a simplement changé d’aspect. Dans le régime industriel actuel, ils obéissent à des forces anonymes, impersonnelles. Ils sont investis des obligations très honorables du citoyen, en même temps que la loi d’airain passe sur eux son niveau. Chaque non-possédant assume la double charge du citoyen et de l’esclave, sans avoir rien à attendre de l’État, qui, ayant affaire à des masses esclaves, source inépuisable de forces définitivement assouplies et muettes, se préoccupe bien plus de réaliser des économies que d’épargner des vies humaines. Car les ressources financières ont une limite. Mais il gaspille sans compter les existences, elles lui coûtent si peu. Exemples : pour les chevaux, calcul bien connu des compagnies parisiennes de transports ; pour les hommes, industrie des allumettes en France, campagne de Madagascar, etc.

Prêtez l’oreille et entendez à cette fin d’époque cette mélopée de souffrance qui monte de partout jusqu’à nous, de l’hôpital, de l’usine, des charniers coloniaux… Ose-t-on dire qu’il y a contrat entre la société et la misérable créature si peu humaine travaillant aux filatures qui volontairement se fait prendre un doigt dans la machine pour