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fois. Le jeune homme avait aperçu sa spiritualité, et s’était ensuite égaré à la poursuite de l’Esprit universel et parfait, du Saint-Esprit, de l’Homme, de l’Humanité, bref de tous les Idéaux. L’homme se ressaisit et retrouve son esprit incarné en lui, fait chair et devenu quelqu’un.

Un enfant ne met dans ses désirs ni idée ni pensée, un jeune homme ne poursuit que des intérêts spirituels, mais les intérêts de l’homme sont matériels, personnels et égoïstes. Lorsque l’enfant n’a aucun objet dont il puisse s’occuper, il s’ennuie, car il ne sait pas encore s’occuper de lui-même. Le jeune homme au contraire se lasse vite des objets, parce que de ces objets s’élèvent pour lui des pensées et qu’il s’intéresse avant tout à ses pensées, à ses rêves, qui l’occupent spirituellement : « son esprit est occupé ».

En tout ce qui n’est pas spirituel, le jeune homme ne voit avec mépris que des « futilités ». S’il lui arrive de prendre au sérieux les plus minces enfantillages (par exemple les cérémonies de la vie universitaire et autres formalités), c’est qu’il en saisit l’esprit, c’est-à-dire qu’il y voit des symboles.

Je me suis retrouvé derrière les choses et m’y suis découvert Esprit ; de même plus tard je me retrouve derrière les pensées, et me découvre leur créateur et leur possesseur.

À l’âge des visions, mes pensées faisaient de l’ombre sur mon cerveau, comme l’arbre sur le sol qui le nourrit ; elles planaient autour de moi comme des rêves de fiévreux et me troublaient de leur effroyable puissance. Les pensées avaient elles-mêmes revêtu une forme corporelle, et ces fantômes je les voyais : ils s’appelaient Dieu, l’Empereur, le Pape, la Patrie, etc.

Aujourd’hui, je détruis ces incarnations mensongères, je rentre en possession de mes pensées, et je dis : Moi seul ai un corps et suis quelqu’un. Je ne vois plus dans le monde que ce qu’il est pour moi ; il est à moi, il est ma propriété. Je rapporte tout à