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et tu es un — serf, un homme religieux. Toi seul tu es la vérité, ou plutôt tu es plus que la vérité, car sans toi elle n’est rien. Sans doute, toi aussi tu t’enquiers de la vérité, toi aussi tu « critiques » ; mais tu ne t’enquiers pas d’une « vérité supérieure », c’est-à-dire plus haute que toi, et tu ne critiques pas suivant le critérium d’une telle vérité. Tu ne t’adresses aux pensées et aux représentations comme aux phénomènes du monde extérieur que dans le but de les conformer à ton goût, de te les rendre agréables et de te les approprier ; tu ne veux que t’en rendre maître et devenir leur possesseur ; tu veux t’y orienter et t’y sentir chez toi, et tu les trouves vraies ou les vois sous leur vrai jour quand elles ne peuvent plus t’échapper, quand il ne leur reste rien d’insaisi, rien d’incompris, ou que tu en jouis et qu’elles sont ta propriété. S’il arrive qu’elles te deviennent des servantes moins empressées, qu’elles se dérobent de nouveau à ton empire, ce sera le signe de leur fausseté, c’est-à-dire de ton impuissance. Ton impuissance est leur puissance, ton abaissement est leur élévation. Leur vérité, c’est toi, c’est le néant que tu es pour elles et dans lequel elles se dissolvent ; leur vérité est leur nullité.

Ce n’est que lorsqu’ils sont ma propriété que ces esprits, les vérités, parviennent au repos ; pour qu’ils soient réels, il faut que, leur existence misérable leur ayant été enlevée, ils deviennent ma propriété et qu’on ne dise plus : la vérité grandit, gouverne, l’emporte, etc. Jamais la vérité n’a triomphé, elle a toujours été l’instrument de ma victoire, comme le glaive (« le glaive de la vérité »). La vérité est une chose morte, c’est une lettre, un mot, un matériel que je puis employer. Toute Vérité est pour elle-même un cadavre ; si elle vit, ce n’est que comme mon poumon vit, c’est-à-dire selon la mesure de ma propre vitalité. Les vérités sont comme le bon grain et l’ivraie : sont-elles bon grain, sont-elles ivraie ? Seul je puis en décider.