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de moi selon mon bon plaisir. Je ne tremble plus pour ma vie, je la « prodigue ».

La question, désormais, n’est plus de savoir comment conquérir la vie, mais comment la dépenser et en jouir ; il ne s’agit plus de faire fleurir en moi le vrai moi, mais de faire ma vendange et de consommer ma vie.

Qu’est-ce que l’Idéal, sinon le moi toujours cherché et jamais atteint ? Vous vous cherchez ? C’est donc que vous ne vous possédez pas encore ! Vous vous demandez ce que vous devez être ? Vous ne l’êtes donc pas ! Votre vie n’est qu’une longue et passionne attente ; pendant des siècles, on a soupiré vers l’avenir et vécu d’espérance. C’est tout. autre chose de vivre de — jouissance.

Est-ce à ceux-là seuls que l’on dit pieux que s’adressent mes paroles ? Nullement, elles s’appliquent à tous ceux qui appartiennent à cette époque finissante, et même à ses joyeux vivants. Pour eux aussi un dimanche succède aux jours ouvrables et les tracas de la vie sont suivis du rêve d’un monde meilleur, d’un bonheur universel, d’un Idéal en un mot. Mais les philosophes au moins doivent, direz-vous, être opposés aux dévots ! Eux ? Ont-ils jamais pensé à autre chose qu’à l’idéal et ont-ils jamais eu en vue autre chose que le moi absolu ? Partout attente, aspirations, partout de lointaines chimères, de longs espoirs et rien de plus. Faites-moi le plaisir d’appeler ça du romantisme !

Pour triompher de l’aspiration à la vie, la jouissance de la vie doit la vaincre sous sa double forme, écraser aussi bien la détresse spirituelle que la détresse temporelle, et exterminer à la fois la soif de l’idéal et la faim du pain quotidien. Celui qui doit user sa vie à la conserver ne peut en jouir, et celui qui la cherche ne l’a pas et ne peut pas non plus en jouir : tous deux sont pauvres, mais — « bienheureux les pauvres ! ».

Les affamés de vraie vie n’ont plus aucun pouvoir