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Elle leur demande, et doit leur demander, un certain esprit d’obéissance, elle exige que ses membres lui soient soumis, soient ses « sujets », elle n’existe que par la sujétion. Cela ne veut pas dire qu’elle ne puisse faire preuve d’une certaine tolérance ; au contraire, elle fera bon accueil aux projets d’amélioration, aux conseils et aux critiques, pour autant qu’ils ont en vue son bénéfice ; mais la critique doit se montrer « bienveillante », on ne lui permet pas d’être « insolente et irrévérencieuse » ; en d’autres termes, il faut laisser intacte et tenir pour sacrée la substance de la société. La société ne prétend pas que ses membres s’élèvent et se placent au-dessus d’elle ; elle veut qu’ils restent « dans les bornes de la légalité », c’est-à-dire qu’ils ne se permettent que ce que leur permettent la société et ses lois.

Il y a loin d’une société qui ne restreint que ma liberté à une société qui restreint mon individualité. La première est une union, un accord, une association. Mais celle qui menace l’individualité est une puissance pour soi et au-dessus de Moi, une puissance qui m’est inaccessible, que je peux bien admirer, honorer, respecter, adorer, mais que je ne puis ni dominer ni mettre à profit, parce que devant elle je me résigne et j’abdique. La société est fondée sur ma résignation, mon abnégation, ma lâcheté, que l’on nomme — humilité. Mon humilité fait sa grandeur, ma soumission sa souveraineté.

Mais sous le rapport de la liberté, il n’y a pas de différence essentielle entre l’État et l’association. Pas plus que l’État n’est compatible avec une liberté illimitée, l’association ne peut naître et subsister si elle ne restreint de toute façon la liberté. On ne peut nulle part éviter une certaine limitation de la liberté, car il est impossible de s’affranchir de tout : on ne peut pas : voler comme un oiseau pour la seule raison qu’on le désire, car on ne se débarrasse pas de sa pesanteur ; on ne peut pas vivre à son gré sous l’eau comme un poisson,