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loi morale dit : « Tu ne mentiras pas. » La morale donne donc à ceux qui m’interrogent le droit d’attendre de moi la vérité, mais Moi je ne le leur donne pas ; je ne reconnais d’autre droit que celui que j’accorde moi-même.

Autre exemple : La police pénètre dans une assemblée révolutionnaire et demande son nom à l’orateur. Tout le monde sait que la police a le droit de le faire ; seulement, ce droit elle ne le tient pas du révolutionnaire, qui est son ennemi : il lui donne un faux nom et il lui — ment. Mais la police n’est pas assez naïve pour se fier à la véracité de ses ennemis ; au contraire, elle ne croit rien sans preuve et tâche, autant que possible, d’ « établir l’identité » de l’individu qu’elle a interrogé. L’État lui-même agit toujours avec défiance envers les individus, parce qu’il reconnaît dans leur égoïsme son ennemi naturel ; il lui faut toujours « la preuve », et celui qui ne peut pas fournir cette preuve devient l’objet de recherches inquisitoriales, d’une enquête. L’État ne croit pas l’individu et n’a pas confiance en lui ; il vit avec lui sur le pied de la « défiance mutuelle » : il ne se fie à moi que quand il s’est convaincu de la véracité de mes assertions, et pour cela il n’a souvent d’autre moyen que le serment. Ce moyen prouve que l’État ne se fie pas à notre amour de la vérité, à notre sincérité, mais seulement à notre intérêt, à notre égoïsme. Il compte que nous ne voudrons pas nous brouiller avec Dieu par un parjure.

Imaginez-vous à présent un révolutionnaire français de 1788 qui, entre amis, ait laissé échapper la phrase devenue célèbre : « Le monde n’aura pas la paix avant qu’on ait étranglé le dernier des rois avec les boyaux du dernier des prêtres ! » À cette époque, le roi possède encore toute sa puissance. Le hasard a ébruité le propos. mais on ne saurait pourtant citer aucun témoin. On veut obtenir que l’accusé avoue. Doit-il ou ne doit-il pas avouer ? S’il nie, il ment et — reste impuni ;