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PRÉFACE DU TRADUCTEUR

XI

rieur et « supérieur » à moi, n’a d’autre limite que ma force et n’est que ma force. Mes relations avec les hommes, que nulle puissance religieuse, c’est-à-dire extérieure, ne peut régler, sont celles d’égoïste a égoïste : je les emploie et ils m’emploient, nous sommes l’un pour l’autre un instrument ou un ennemi.

Ainsi se clôt par une négation radicale la lutte de la gauche hégélienne contre l’esprit théologique ; et, du même coup, sont convaincus de devoir tourner sans fin dans un cercle vicieux ceux qui attaquent l’Eglise ou l’Etat au nom de la morale ou de la justice : tous en appelant àune autorité extérieure à la volonté égoïste de l’individu en appellent en dernière analyse à la volonté d’un « dieu » : « Nos athées sont de pieuses gens » ’.

Si Feuerbach s’était rallié théoriquement à la « morale de l’égoïsme », ce n’avait été de sa part qu’une inadvertance-, résultant de sa polémique anti-religieuse, car sa doctrine de l’amour devait l’en tenir éloigné. Stirner ne tombe pas dans de pareilles inconséquences, et il tire avec une logique impitoyable toutes les conclusions renfermées dans les prémisses posées par ses prédécesseurs . Une fois renversé (i) Remarquons en passant que Stirner,qui neconnut — et asse% su perficiellement — que les premiers travaux de Proudhon répond par avance à la pensée fondamentale de sa Justice dans la Révolution et dans l’Eglise et repousse toute opposition entre la justice purement humaine de la Révolution et la radicale incapacité de justice de l’Eglise. La dignité humaine, source de justice de Proudhon, vaut la dignité, source de moralité de Mill ; à moins d’être un retour à la révélation, elles sont l’une et l’autre également incapables de jus tifier toute idée de sanction et d’obligation ; la justice de l’un comme la morale de l’autre sont religieuses ou ne sont ni morale ni justice. Comme le dit excellemment Guyau, la morale des utilitaires (et la justice de Proudhon est dans le même cas), n’a jamais pu expliquer que le faire moral (la possibilité d’être amené à poser des actes con formes à la moralité), et non le vouloir moral [la moralité) ; la physique des mœurs ne peut devenir une morale que si elle en appelle inconsciemment à une « table des valeurs » religieuse. Il n’est d’autre réfutation de la morale théologique que la suppression de la théologie — et de la morale.