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tromperie, la duplicité et le mensonge paraissent-ils plus noirs qu’ils ne sont. Qui refuserait de tromper la police et de tourner la loi, qui ne prendrait bien vite un air de candide loyauté lorsqu’il rencontre les sergents, pour cacher quelque illégalité qu’il vient de commettre, etc. ? Celui qui ne le fait pas se laisse violenter, c’est un lâche — par scrupules. Je sens déjà que ma liberté est rabaissée, lorsque je ne puis imposer ma volonté à un autre (que cet autre soit sans volonté, comme un rocher, ou qu’il veuille, comme un gouvernement, un individu, etc.) ; mais c’est renier mon individualité que de m’abandonner moi-même à autrui, de céder, de plier, de renoncer, par soumission et résignation. Abandonner une manière de faire qui ne conduit pas au but, ou quitter un mauvais chemin, c’est tout autre chose que de me soumettre. Je tourne un rocher qui barre ma route jusqu’à ce que j’aie assez de poudre pour le faire sauter ; je tourne les lois de mon pays tant que je n’ai pas la force de les détruire. Si je ne puis saisir la lune, doit-elle pour cela m’être « sacrée », m’être une Astarté ? Si je pouvais seulement t’empoigner, je n’hésiterais certes pas, et si je trouvais un moyen de parvenir jusqu’à toi, tu ne me ferais pas peur ! Tu es l’inaccessible, mais tu ne le resteras que jusqu’à ce que j’aie conquis la puissance qu’il faut pour t’atteindre, et ce jour-là tu seras mienne ; je ne m’incline pas devant toi, attends que mon heure soit venue !

C’est ainsi que depuis toujours ont agi les hommes forts. Les « soumis » avaient-ils mis bien haut la puissance de leur maître, et, prosternés, exigeaient-ils de tous l’adoration, venait un de ces fils de la nature qui refusait de s’humilier et chassait la puissance suppliée de son inaccessible Olympe. Il criait au soleil : « Arrête-toi ! » et faisait tourner la terre, les « soumis » devaient bien s’y résigner ; il mettait la cognée au tronc des chênes sacrés, et les « soumis » s’étonnaient de ne pas le voir dévoré par le feu céleste ;