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que j’ai de plus cher que je devrais, nouvel Abraham, lui sacrifier.

Dans le royaume de la Pensée, qui, comme celui de la foi, est le royaume céleste, celui-là a assurément tort qui recourt à la force sans pensée, juste comme a tort celui qui, dans le royaume de l’amour, agit sans amour et celui qui, quoique chrétien, n’agit pas en chrétien : dans ces royaumes auxquels ils pensent appartenir tout en se soustrayant à leurs lois, l’un comme l’autre sont des « pécheurs » et des « égoïstes ». Mais, d’autre part, ils y seraient des criminels s’ils prétendaient en sortir et ne plus s’en reconnaître les sujets.

Il en résulte encore que dans leur lutte contre le gouvernement, ceux qui pensent ont pour eux le droit, autrement dit la force, tant qu’ils ne combattent que les pensées du gouvernement (ce dernier reste court et ne trouve à répondre rien qui vaille, littérairement parlant), tandis qu’ils ont tort, autrement dit ils sont impuissants, lorsqu’ils entreprennent de mener des pensées à l’assaut d’une puissance personnelle (la puissance égoïste ferme la bouche aux raisonneurs). Ce n’est pas sur le champ de bataille de la théorie qu’on peut remporter une victoire décisive, et la puissance sacrée de la pensée succombe sous les coups de l’égoïsme. Seul le combat égoïste, le combat entre égoïstes peut trancher un différend et tirer une question au clair.

Mais c’est là réduire le penser lui-même à n’être plus qu’affaire de bon plaisir égoïste, l’affaire de l’unique, ni plus ni moins qu’un simple passe-temps ou qu’une amourette ; c’est lui enlever sa dignité de « dernier et suprême arbitre », et cette dépréciation, cette profanation du penser, cette égalisation du moi qui pense et du moi qui ne pense pas, cette grossière mais réelle « égalité — il est interdit à la critique de l’instaurer, parce qu’elle n’est que la prêtresse du penser et qu’elle n’aperçoit par-delà le penser que — le déluge.