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je ne nie pas, note-le bien, que tu penses, et qu’en pensant tu crées des milliers de pensées. Mais toi qui t’es imposé ces devoirs, ne dois-tu pouvoir jamais les renverser ? Dois-tu y rester lié et doivent-ils devenir des devoirs absolus ? Dernière remarque : on a fait au gouvernement un grief de recourir à la force contre la pensée, de braquer contre la presse les foudres policières de la censure et de transformer des batailles littéraires en combats personnels. Comme s’il ne s’agissait que des pensées et comme si l’on devait aux pensées du désintéressement, de l’abnégation et des sacrifices ! Ces pensées n’attaquent-elles pas les gouvernants eux-mêmes et n’appellent-elles pas une riposte de l’égoïsme ? Et ceux qui pensent n’émettent-ils pas cette prétention religieuse de voir honorer la puissance de la pensée, des idées ? Ceux auxquels ils s’adressent doivent succomber de leur plein gré et sans résistance, parce que la divine puissance de la pensée, la Minerve, combat aux côtés de leurs adversaires. Ce serait déjà là l’acte d’un possédé, un sacrifice religieux. Les gouvernants sont en vérité eux-mêmes pétris de préventions religieuses et guidés par la puissance d’une idée ou d’une croyance, mais ils sont en même temps des égoïstes inavoués, et c’est surtout lorsqu’on est en face de l’ennemi qu’éclate l’égoïsme latent : ils sont possédés quant à leur foi, mais quand il s’agit de la foi de leurs adversaires ils ne sont plus possédés et se retrouvent égoïstes. Si on veut leur faire un reproche, ce ne peut être que le reproche opposé, celui d’être possédés par leurs idées.

Aucune force égoïste, nulle puissance policière et rien de semblable ne doit entrer en jeu contre les pensées. C’est ce que croient les dévots de la pensée. Mais le penser et les pensées ne me sont pas sacrés ; lorsque je les attaque, c’est ma peau que je défends contre eux. Il se peut que cette lutte ne soit pas raisonnable ; mais si la raison m’était un devoir, c’est ce