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sous tous les autres aspects qui constituent sa vie ; le désir pour la satisfaction duquel est née son œuvre était — théorique.

Tu vas répliquer que tu révèles un tout autre homme, un homme plus digne, plus haut, plus grand, en un mot plus Homme, que tel ou tel autre. Soit, je veux admettre que tu réalises tout le possible humain, que tu es parvenu où nul autre ne peut atteindre. En quoi consiste ta grandeur ? Précisément en ce que tu es plus que d’autres hommes (que la « masse »), plus que ne sont les « hommes ordinaires » ; ce qui te fait grand, c’est ton élévation au-dessus des hommes. Si tu te distingues au milieu d’eux, ce n’est nullement parce que tu es un homme, mais parce que tu es un homme « unique ». Ton œuvre témoigne bien de ce dont un homme est capable, mais de ce que toi qui es un homme tu l’as accomplie il ne résulte pas que d’autres, également hommes, en puissent faire autant : ce n’est que parce que tu es un homme unique que tu as pu l’accomplir, et en cela tu es unique.

Ce n’est pas l’homme qui fait ta grandeur, c’est toi qui la fais parce que tu es plus qu’un homme et plus puissant que d’autres — hommes.

On s’imagine ne pouvoir être plus qu’homme. Être moins qu’homme serait pourtant bien plus difficile.

On s’imagine en outre que tout ce que l’on fait de bien, de beau, de remarquable fait honneur à l’homme. Mais si je suis homme, c’est comme Schiller était souabe, Kant prussien et Gustave Adolphe myope, et mes mérites et les leurs font de nous un homme, un Souabe, un Prussien et un myope distingués. Tous ces qualificatifs valent au fond la canne de Frédéric le Grand, qui n’est célèbre que parce que Frédéric l’est.

À l’ancien « rendez hommage à Dieu », le Moderne répond « rendez hommage à l’Homme ». Mais mes hommages je compte les garder pour moi.