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d’y laisser germer au petit bonheur ceux qui y auraient trouvé un sol convenable ? Lorsque nous entendons le nom de Dieu, nous devons éprouver de la crainte ; que l’on prononce devant nous le nom de Sa Majesté le Prince, nous devons nous sentir pénétrés de respect, de vénération et de soumission ; si l’on nous parle de moralité, nous devons entendre quelque chose d’inviolable ; si l’on nous parle du mal ou des méchants, nous ne pouvons nous dispenser de frémir, et ainsi de suite. Ces sentiments sont le but de l’éducateur, ils sont obligatoires ; si l’enfant se délectait, par exemple, au récit des hauts faits des méchants, ce serait au fouet à le punir et à le « ramener dans la bonne voie ».

Lorsque nous sommes ainsi bourrés de sentiments donnés, nous parvenons à la majorité et nous pouvons être « émancipés ». Notre équipement consiste en « sentiments élevés, pensées sublimes, maximes édifiantes, éternels principes », etc. Les jeunes sont majeurs quand ils gazouillent comme les vieux ; on les pousse dans les écoles pour qu’ils y apprennent les vieux refrains, et, quand ils les savent par cœur, l’heure de l’émancipation a sonné.

Il ne nous est pas permis d’éprouver, à l’occasion de chaque objet et de chaque nom qui se présentent à nous, le premier sentiment venu ; le nom de Dieu, par exemple, ne doit pas éveiller en nous d’images risibles ou de sentiments irrespectueux ; ce que nous devons en penser et ce que nous devons sentir nous est d’avance tracé et prescrit.

Tel est le sens de ce qu’on appelle la « charge d’âme » : mon âme et mon esprit doivent être façonnés d’après ce qui convient aux autres, et non d’après ce qui pourrait me convenir à moi-même.

On sait combien il faut se donner de peine pour acquérir une façon à soi de sentir vis-à-vis de bien des noms que l’on prononce même tous les jours ; on sait aussi combien il est difficile de rire au nez de celui