Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/106

Cette page n’a pas encore été corrigée

hostile ; je reste son juge, parce que je suis son propriétaire.

Le désintéressement pullule là où règne la « possession », aussi bien sur les possessions du Diable que sur celles du bon Esprit : là, vice, folie, etc. ; ici, résignation, soumission, etc.

Où tourner ses regards sans rencontrer quelque victime du renoncement ?

En face de chez moi habite une jeune fille qui depuis tantôt dix ans offre à son âme de sanglants holocaustes. C’était jadis une adorable créature, mais une lassitude mortelle courbe aujourd’hui son front, et sa jeunesse saigne et meurt lentement sous ses joues pâles.

Pauvre enfant, que de fois les passions ont dû frapper à ton cœur, et réclamer pour ton printemps une part de soleil et de joie ! Quand tu posais ta tête sur l’oreiller, comme la nature en éveil faisait tressaillir tes membres, comme ton sang bondissait dans tes artères ! Toi seule le sais, et toi seule pourrais dire les ardentes rêveries qui faisaient s’allumer dans tes yeux la flamme du désir.

Mais, soudain, à ton chevet se dressait un fantôme : l’Âme, le salut éternel !

Effrayée, tu joignais les mains, tu levais vers le ciel ton regard éploré, tu — priais. Le tumulte de la nature s’apaisait et le calme immense de la mer s’appesantissait sur les flots mouvants de tes désirs. Peu à peu la vie s’éteignait dans tes yeux, tu fermais tes paupières meurtries, le silence se faisait dans ton cœur, tes mains jointes retombaient inertes sur ton sein sans révolte, un dernier soupir s’exhalait de tes lèvres, et — l’âme était en repos. Tu t’endormais, et le lendemain c’étaient de nouveaux combats et — une nouvelle prière.

Aujourd’hui, l’habitude du renoncement a glacé l’ardeur de tes désirs et les rosés de ton printemps pâlissent au vent desséchant de ta félicité future.