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le représenter comme un homme cupide (accusations auxquelles sa fortune donnait quelque vraisemblance), sachant bien que s’ils parvenaient à rendre suspect son désintéressement, il leur serait facile de détacher de lui ses partisans. Tout ce qu’ils pouvaient prouver, c’est que O’Connell visait un autre but que celui qu’il avouait. Mais qu’il eût en vue un avantage pécuniaire ou la liberté de son peuple, il est en tout cas évident qu’il poursuivait un but et même son but : dans un cas comme dans l’autre il avait un intérêt, seulement il se trouvait que son intérêt national était utile à d’autres, ce qui en faisait un intérêt commun.

N’existe-t-il donc pas de désintéressement et ne peut-on jamais en rencontrer ? Au contraire, rien n’est plus commun ! On pourrait appeler le désintéressement un article de mode du monde civilisé et on le tient pour si nécessaire que lorsqu’il coûte trop cher en étoffe solide on s’en paie un de camelote : on singe le désintéressement.

Où commence le désintéressement ? Précisément au moment où un but cesse d’être notre but et notre propriété et où nous cessons de pouvoir en disposer à notre guise, en propriétaire, lorsque ce but devient un but fixe ou une — idée fixe, et commence à nous inspirer, à nous enthousiasmer, à nous fanatiser, bref, quand il devient — notre maître. On n’est pas désintéressé tant qu’on tient le but en son pouvoir ; on le devient lorsqu’on pousse le cri du cœur des possédés : « Je suis comme ça, je ne saurais être autrement, et qu’on applique à un but sacré un zèle sacré.

Je ne suis pas désintéressé tant que mon but reste à moi et que je le laisse perpétuellement en question au lieu de me faire l’instrument aveugle de son accomplissement. Je peux ne pas déployer pour cela moins de zèle que le fanatique, mais tout mon zèle me laisse, en face de mon but, froid, calculateur, incroyant et