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à se rendre prisonnière du goût, du bric-à-brac, des arrangements dits “artistiques”. C’est pourquoi nous voyons tant de peintres tomber dans le truquage, et se livrer à cette cuisine plus ou moins savante, qu’ils osent appeler peinture. Aussi leur art n’éclaire-t-il plus depuis longtemps, par ce qu’arraché aux ténèbres. Il sent déjà la mort, avant d’avoir vu le jour.
Quel titre bien mérité, celui de “natures-mortes” qu’ils appliquent à leurs oeuvres. La bonne cuisine flatte nos sens, ce qui ne l’empêche pas d’être du cadavre.

Fuyez ces porcs qu’on appelle les hommes de goût.

Si certain peintres, dont la qualité de l’esprit prime celle du travail, professent parfois une philosophie dépassant de beaucoup la portée de leur oeuvre, d’autres par contre, dont l’habileté ne peut les préserver de toutes les défaites spirituelles, s’efforcent souvent, avec assez de malice, à masquer leur ignorance ou leur impuissance à l’aide d’une philosophie d’automédon.

Comme si on avait attendu leur naissance, malgré cent siècles de productions artistiques, pour connaître les lois et la philosophie de l’art, certains peintres s’indignent qu’on ose parler peinture en dehors d’eux. Sans doute parce qu’ils s’exagèrent leur propre importance et souvent aussi parce qu’ils craignent qu’à travers leurs recettes on ne découvre l’imposture. C’est à eux que s’adressent ces paroles de Nietsche:
“Il n’y a rien que les artistes, les poètes et les écrivains craignent plus que l’oeil qui s’aperçoit de leur petite supercherie, qui se rend compte après coup qu’ils se sont souvent arrêtés à la limite, avant de s’adonner à l’innocente joie de se glorifier eux-mêmes ou de tomber dans les effets faciles ; l’oeil qui vérifie s’il n’y a pas des choses minimes qu’ils ont voulu vendre trop cher, s’ils n’ont pas essayé d’exalter et de parer, sans être exaltés eux-mêmes ; l’oeil qui à travers tous les artifices de leur art, voit la pensée telle qu’elle se présentait primitivement à eux, peut-être comme une ravissante vision de lumière, mais peut-être aussi comme un emprunt à tout le monde, comme une pensée quotidienne qu’il leur fallut délayer, raccourcir, colorier, développer, épicer, pour en faire quelquechose. – Oh! cet oeil qui remarque dans votre ouvrage toute votre inquiétude, votre espionnage et votre convoitise, votre imitation et votre exagération (qui n’est qu’une imitation envieuse), qui connaît la rougeur de votre honte aussi bien que votre art de cacher cette rougeur, et de lui donner un autre sens devant vous mêmes”.
Aussi pour durer ne souhaitent-ils que.... l’amateur qui n’ait que du vice, et le marchand qui ne soit qu’un mercanti.

Il y a vingt ans, on avait encore, à défaut d’une esthétique élevée, l’amour du beau métier, le respect d’une discipline quelconque, l’esprit de sacrifice ; mais, aujourd’hui, pour apprendre leur métier, les peintres n’ont que la peine d’acheter chez le spécialiste une palette et quelques pinceaux. Ils crient “Vive la liberté”, ce qui, de leur part, ne signifie pas autre chose que “Vive l’anarchie”.

Le “Cubisme” c’est la marche à l’étoile. Après quatre siècles d’empirisme, l’espoir du retour prochain à l’initiation.

(à suivre).
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