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piano, voire silencieux, ressemble à une personne qui se tait.” Mais que dire de ces constatations : “Le coq dit Cocteau deux fois”?

Le Potomak” est la préface, s’il faut en croire l’auteur, d’une suite d’ouvrages qu’inaugurent “Le Cap de Bonne-Espérance” et “Le Coq et l’Arlequin”. C’est un livre prodigieusement gai et divertissant. (Le tout est de voir si l’Art qui peut s’ainsi qualifier, est souhaitable). Des personnages y évoluent, qui ne sont ni des fictions, ni des êtres vivants, — mais (croyez-moi) les amis intimes des anciens héros d’André Gide, ceux qui composaient “Paludes” entre deux visites à Angèle. Celui qui va saluer le Potomak, et qui se délecte du monologue que cet animal marin lui serine, ne peut pas renier sa fraternité avec le névrosé sympathique qui discute philosophie dans l’escalier, avant d’aller lire quatre vers dans un salon.

Mais, en réalité, l’esprit de ce livre bizarre est un esprit de transition, et s’il est réellement “préface”, c’est moins par ce qu’il exprime que par son existence elle-même. “Le Potomak”, c’est l’ouvrage où Jean Cocteau se délivre, où, par conséquent, il entame, il esquisse une vie nouvelle. Et comme il dit lui-même : “dans ce livre un soprano se brise, un animal se dépouille de sa peau, quelqu’un s’éveille.”

Dans le “Cap de Bonne-Espérance”, il s’exprime davantage. La forme, au moins, est dégagée de l’emprise des aînés, et si elle est encore imparfaite, elle constitue néaumoins un pas décisif vers la libération. Poème ; l’imagination est maîtresse du terrain, et la maladresse, parfois, d’un métier qui se forme, et qui, jusque dans les fragments les plus déjetés en apparence, se surveille, ne l’entrave pas.

J’aime son allure libre, et, disons-le, son élégance. Je suis trop “charmé” peut-être, et trop peu “conquis” (Il ne me déplait [sic] pas d être [sic] parfois violenté) Mais l’affêterie est excusable, qui se dissimule sous une sincère tentative de rénovation.

Je préfère, pourtant, “Le Coq et l’Arlequin”, parce qu’il explique l’auteur, ne vise à rien qu’à exprimer des idées, et ne se soumet à aucune affabulation. Et puis, je puis supporter plus facilement, ici, les retours suprèmes des forces battues. Dans un livre semblable, de pensées, de notes, il n’y a point d’atmosphère, mais chaque ligne, dans son autonomie, prend et conserve sa pleine valeur. L’auteur est jugé selon ses mérites ou ses défauts. Aucune surprise. Aucune influence pernicieuse.

Je sais qu’on a reproché à Cocteau, à propos de ce petit volume d’aphorismes, d’avoir menti sur sa personnalité, ou plutôt, de s’être menti à lui-même.

Mais je me demande jusqu’à quel point ce reproche n’est pas du dépit devant le lent et progressif affranchissement qui conduit le poète à pendre conscience de lui-même. L’auteur des “Caves du Vatican” me semble être peu qualifié pour écrire à un confrère : “Certaines de vos maximes me paraissent être bien moins en rapport avec celui que vous êtes, qu’avec celui que vous voudriez qu’on vous crût.”

L’évolution d’un artiste est une chose mystérieuse et qui peut paraître factice tout en étant très sincère. Il suffit généralement qu’un peintre — ou un poète — accepté par les milieux bourgeois pour certaines œuvres de jeunesse, — imprécises, ou, plus simplement, gentilles — fasse un violent effort pour s’arracher aux vieilles esthétiques et consacrer son talent et sa sensibilité à réaliser des œuvres nouvelles, pour qu’aussitôt on le taxe d’arrivisme et d'excentricité.

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