Page:Stevenson - Saint-Yves.djvu/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mes deux compagnons fit voir une émotion extraordinaire. Ils se dressèrent sur le bout des pieds ; ils mirent leur main en abat-jour devant leurs yeux pour mieux étudier le troupeau qui approchait ; et ils se consultèrent l’un l’autre avec une apparence d’alarme que je ne parvenais pas à comprendre. Je m’enhardis à leur demander ce qu’il y avait qui les inquiétait.

« De sales bougres ! » fut la brève et éloquente réponse de Sim.

Toute la journée, les chiens eurent à rester en alerte et le troupeau marcha avec une vitesse inaccoutumée. Toute la journée, Sim et Candlish, avec une dépense anormale de tabac à priser et de paroles, continuèrent à débattre la situation. Je pus ainsi comprendre qu’ils venaient de reconnaître deux des trois hommes qui conduisaient l’autre convoi : un certain Faa et un certain Gillies. Jamais je n’ai pu savoir l’origine de la querelle qu’il y avait entre eux ; mais le fait est que Sim et Candlish s’attendaient, de la part de ces confrères, à tous les degrés possibles de fraude ou de violence. Candlish se félicitait à maintes reprises d’avoir « laissé sa montre chez lui, avec sa bourgeoise » ; et Sim ne cessait point de brandir son gourdin, ni de maudire sa malchance, car cette arme se trouvait fendue par le milieu.

« Pour peu que je veuille asséner un bon coup à la damnée crapule, disait-il, le bois est capable de m’éclater entre les mains !

— Eh bien messieurs, dis-je, à supposer que ces individus nous approchent, je crois tout de même que nous pourrons leur faire un joli parti ! »

Ce que disant, je faisais siffler au-dessus de ma tête le cadeau de Ronald, dont j’appréciais maintenant pleinement la valeur.

« Comment, mon garçon ? Est-ce que vous savez en jouer ? » demanda Sim. Et un éclair d’approbation illumina son visage de bois.

Ce même soir, un peu fatigués d’une longue journée de