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mais revoir, — que j’espérais bien ne plus jamais revoir, accoutré en arlequin comme je l’étais. Le privilège de voir une jolie femme est, avec celui de verser son sang pour sa patrie, la chose qu’un cœur de soldat français mettra toujours le plus haut.

Il y avait notamment, parmi nos visiteurs, une jeune dame d’environ dix-huit ou dix-neuf ans, grande, élancée, d’un port admirable, et avec une profusion de cheveux que le soleil changeait en de vrais fils d’or. Aussitôt qu’elle entrait dans notre cour, — et elle y venait assez souvent, — c’était comme si un instinct m’en eût averti. Elle avait un air de candeur angélique, mais on la devinait d’âme fière et haute. Elle s’avançait comme Diane même ; chacun de ses mouvements avait une noblesse pleine d’aisance.

Un jour, le vent d’est soufflait plus encore qu’à l’ordinaire. Le drapeau se collait contre sa hampe, sur le toit de notre prison ; au-dessous de nous, la fumée des cheminées de la ville se répandait, çà et là, en mille variations fantastiques ; et plus loin, sur le Forth, nous pouvions voir les bateaux fuyant vent arrière. J’étais en train de maudire cet insupportable temps, lorsque soudain elle apparut. Ses cheveux s’éparpillaient au vent avec toute sorte de nuances délicates ; ses vêtements moulaient la grâce juvénile de son corps ; les bouts de son châle lui caressaient les oreilles et retombaient sur sa poitrine avec une gentillesse inimitable. Avez-vous vu une pièce d’eau par un jour de bourrasque, lorsqu’elle se met tout à coup à étinceler et à frémir comme une chose vivante ? De même le visage de la jeune dame s’était tout à coup animé de colère ; et à la voir ainsi debout, légèrement inclinée, ses lèvres entr’ouvertes, un trouble charmant dans ses yeux, volontiers j’aurais battu des mains pour l’applaudir, volontiers j’aurais acclamé en elle une vraie fille des vents de son pays. Ce qui me décida, je l’ignore ; peut-être était-ce simplement le fait que ce jour-là était un jeudi, et que j’avais été rasé le matin ; mais je résolus