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— Et cependant, madame, cet argent est à moi ! »

Elle prit les billets et les examina à son tour.

« Auriez-vous quelque moyen de me prouver cela ? me demanda-t-elle.

— Aucun, malheureusement ! répondis-je. Mais, avec votre pénétration habituelle, vous avez deviné juste. C’est un Anglais qui m’a apporté ces billets. Seulement, ils me viennent, par son entremise, de mon grand-oncle, le marquis de Kéroual de Saint-Yves, qui est, je crois, un des plus riches émigrés de Londres.

— Je ne puis faire plus que de vous croire sur parole ! dit-elle.

— Et vous ne pouvez pas faire moins, madame ! répondis-je.

— Eh bien dit-elle, dans ces conditions, la chose peut s’arranger. Je vais vous changer un de ces billets de cinq guinées, sauf l’escompte, naturellement, et je vous donnerai de l’argent et des billets écossais qui vous serviront jusqu’à la frontière. Au delà, monsieur le comte, vous n’aurez à compter que sur vous ! »

Je ne pus m’empêcher de lui faire entendre, poliment, que je doutais que la somme fût suffisante pour un aussi long voyage.

« Hé ! reprit-elle, mais vous ne m’avez pas entendue jusqu’au bout. Si vous n’êtes pas un seigneur trop délicat pour vous accommoder de voyager avec un couple de conducteurs de bestiaux, je crois que j’ai trouvé exactement votre affaire : et que le Seigneur pardonne à une vieille femme de trahir ainsi son pays ! Il y a deux conducteurs de bestiaux qui sont venus loger, cette nuit, avec le berger de la ferme ; demain, sans doute au lever du jour, ils vont prendre le chemin de l’Angleterre ; et, à mon avis, vous auriez avantage à voyager avec eux.

— Pour l’amour du ciel, madame, ne croyez pas que le goût de mes aises me tienne trop à cœur ! Un homme qui a fait dix ans de campagnes sous Napoléon est prêt d’avance à s’accommoder des manières de voyager les