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et la serrer : attention dont je les aurais volontiers dispensés.

« Souhaitons-nous bonne chance ! » dis-je à Leclos. Après quoi je pris la corde dans mes deux mains et, m’aidant des coudes et des genoux, je descendis, les pieds en avant, jusqu’à l’extrémité du passage. Quand la terre me manqua sous les pieds, je crus bien que mon cœur allait cesser de battre, et, un moment après, je me démenais en plein air comme un singe qu’on aurait fait boire. J’avais depuis longtemps cessé d’être un modèle de piété ; mais, dans cette seconde, une prière me monta aux lèvres, pendant qu’une sueur froide couvrait mon corps.

La corde était munie de nœuds, à intervalles de vingt pouces ; et le lecteur, s’il n’a pas lui-même une grande expérience de ce genre d’exercice, pourra croire qu’une telle descente n’offre pas de bien grandes difficultés. Mais le malheur était que cette maudite corde paraissait animée d’une malice personnelle à mon endroit. Elle tournait d’un côté, s’arrêtait un moment, puis me lançait comme une balle de l’autre côté ; elle glissait comme une anguille sous mes pieds : elle me maintenait sans cesse dans une véritable fièvre de travail ; et, de moment à autre, elle me projetait violemment contre le rocher. Je n’avais point d’yeux pour voir, et, d’ailleurs, je n’aurais pu voir que l’obscurité. Je suppose que, deux ou trois fois, j’ai dû reprendre haleine, mais je l’ai fait, en tout cas, sans en avoir conscience. Et toutes les forces de mon esprit étaient si exclusivement employées à lâcher la corde et à la ressaisir que j’aurais eu peine à savoir si je montais ou si je descendais.

Tout à coup, je butai contre la falaise, d’un choc si fort et si soudain que je perdis conscience ; et, lorsqu’un peu de raison se ralluma en moi, j’eus la surprise de constater que je me trouvais en état de repos. Le rocher formait, en cet endroit, une saillie sur laquelle mes pieds venaient de se poser : de telle manière que je me sentais allégé du poids de mon corps, tandis que, si le choc avait eu lieu une