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décidé en outre que, lorsque serait choisi le premier à descendre, ses voisins de chambrée le suivraient par ordre. Mais restait toujours à désigner ce premier. Nous en retardions le choix autant que possible ; et l’on nous comprendra si l’on songe à l’incertitude ou nous étions quant à la hauteur du précipice, ou encore si l’on songe que le malheureux avait à descendre une longueur d’au moins soixante-dix brasses, par une nuit absolument noire, le long d’une corde qui flottait librement.

Nous discutions tout cela dans notre chambrée, la nuit, entre le passage des rondes, et je dois avouer que rarement une équipe de héros a fait preuve d’une humeur moins aventureuse. Quelques-uns étaient convaincus qu’il n’y avait point de risque, et nous le prouvaient par d’excellents arguments ; mais ils trouvaient ensuite d’excellentes raisons pour établir que d’autres étaient plus à même qu’eux de tenter l’expérience. Et il y en avait d’autres, au contraire, qui condamnaient en bloc le projet, comme une pure folie. Parmi eux se trouvait notamment, pour comble de malchance, un ancien marin, qui était même le plus décourageant de nous tous. Il nous rappelait que la hauteur était plus grande que celle du mât de navire le plus haut : avec cela une corde lâche, sans personne pour en maintenir l’extrémité, présentait toute sorte de dangers ; le terrible marin nous défiait, positivement, de réussir dans une entreprise comme celle-là.

Enfin, nous fûmes soulagés de nos hésitations par notre vieux sergent-major.

« Mes enfants, dit-il, mon rang dépasse tous les vôtres ; et, pour ce motif, si vous y consentez, je sortirai le premier. Sans compter qu’il y a encore d’autres motifs pour cela. Je ne suis plus jeune ; j’ai eu soixante ans le mois passé. Je n’étais déjà plus très bon pour le service quand je suis arrivé ici ; à présent, je ne suis plus bon à rien. J’ai pris de la bedaine, mes bras se sont engourdis ; c’est bien à moi de me risquer le premier !

— Mais pas du tout, voilà ce que nous ne pouvons