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d’observer. Un égoïste s’accommode fort bien de vivre sans femme ni enfants, de se passer de toute l’humanité, sauf peut-être du barbier et de l’apothicaire ; mais le même homme, quand arrive pour lui l’heure de mourir, semble être physiquement incapable de mourir sans un héritier. Vous pouvez faire à vous-même une application de ce principe. Le vicomte Alain, qui, d’ailleurs, ne s’en doute pas, je crois, a disparu de l’horizon. Reste donc, à sa place, le comte Anne !

— À ce que je vois, vous ne cherchez pas à me donner une idée trop favorable de mon oncle le marquis.

— Je n’ai nullement l’intention de médire d’un de mes meilleurs clients, répondit-il. M. de Kéroual a mené une existence relâchée, bien tristement relâchée. Mais c’est un homme qu’on ne saurait connaître sans l’admirer : sa politesse est délicieuse.

— Et, ainsi, vous estimez qu’il y a actuellement des chances pour moi ?

— Entendons-nous ! fit le notaire. En vous disant ce que je viens de vous dire, je me suis aventuré au delà de ma mission. Je n’ai nullement été chargé de vous parler de testaments, ni d’héritages, ni de votre cousin. Je n’ai été envoyé ici que pour vous faire cette seule communication, à savoir que M. le marquis de Kéroual désire se rencontrer avec son petit-neveu.

— Eh bien ! dis-je en regardant les remparts qui nous entouraient, voici un cas où c’est certainement Mahomet qui aura à aller vers la montagne !

— Pardon ! répondit M. Romaine. Vous savez déjà que votre oncle est fort âgé ; mais je ne vous ai pas encore dit qu’il est absolument au bout de ses forces, et qu’on s’attend à sa mort d’un jour à l’autre. Non, non, il n’y a pas de doute sur ce point : c’est bien la montagne qui doit venir vers Mahomet !

— Dans la bouche d’un Anglais, la remarque est significative dis-je. Mais je comprends bien que, par profession, vous êtes homme à garder les secrets ; et je vois