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— Vous avez raison de nouveau ! dis-je ; et j’ai grand plaisir à rencontrer un homme si bien informé de mes quartiers de noblesse. Monsieur serait-il né, lui aussi ? »

Je dis cela avec un grand air de hauteur, en partie pour cacher l’extrême curiosité que m’inspirait cette visite, et en partie pour me divertir, tant la question me semblait incongrue et comique, sur les lèvres d’un soldat prisonnier, en livrée mi-partie soufre et moutarde.

Ma question sembla sans doute également comique à l’inconnu, car il se mit à rire.

« Non, monsieur, répondit-il, je ne suis pas au sens où vous l’entendez, et je dois me contenter d’avoir un jour à mourir. Je m’appelle Romaine. Daniel Romaine, notaire dans la Cité de Londres, pour vous servir ; et, chose qui peut-être vous intéressera davantage, je suis ici à la requête de votre grand-oncle, le marquis !

— Quoi ! m’écriai-je. Le marquis de Kéroual se rappellerait-il l’existence d’une personne telle que moi, et daignerait-il se reconnaître parent d’un soldat de l’empereur ?

— Une question, d’abord, fit mon visiteur : parlez-vous bien l’anglais ?

— J’ai appris à le parler depuis l’enfance, répondis-je. Déjà mon père, en Bretagne, s’amusait à parler anglais avec moi ; et j’ai été recueilli, après sa mort, par un de vos compatriotes, mon bienfaiteur, un certain M. Vicary. »

Le visage du notaire laissa voir une forte expression de curiosité.

« Comment ? s’écria-t-il, vous avez connu le pauvre Vicary ?

— Pendant des années, répondis-je, et pendant bien des mois j’ai partagé sa cachette.

— Et moi, j’ai été son camarade d’études, et j’ai repris sa clientèle, dit mon visiteur. L’excellent homme ! C’est précisément pour s’occuper des affaires du marquis qu’il était allé dans ce maudit pays, dont jamais il ne devait revenir. Sauriez-vous par hasard les détails de sa mort ?

— Hélas ! oui, répondis-je. Il fut attaqué, durant un